jeudi, décembre 23, 2010

L'archiviste du Web 2.0


Quelle image avez-vous d'un archiviste ? 75 ans, la mine grise, croulant sous un désordre de boîtes, de vieilles paperasses et de journaux jaunis, comme cette image de L'archiviste de François Schuiten et Benoît Peeters ? Rien n'est plus faux, depuis la révolution numérique ! Du rôle stéréotypé de conservateur, l'archiviste est surtout aujourd'hui un organisateur et un diffuseur d'informations sous toutes les formes. Pour vous convaincre, allez vois les gagnants du concours d'Archives Online, pour la meilleure représentation de l'archiviste au quotidien, témoins de la révolution numérique. Ici, nous irons plus loin en considérant l'impact du Web 2.0 sur les services d'archives institutionnels et leurs clientèles, maintenant, dans une année, dans 5 ans et dans 20 ans (notre conception d'archives ici sera toute québécoise : elle inclut les documents actifs/administratifs tout comme les documents historiques). Pour ce faire, nous analyserons les interrogations que cela pose pour la théorie des trois âges, l'un des fondements conceptuels de l'archivistique. Puis, nous élaborerons sur l'une des plus importantes fonctions archivistiques : la diffusion. Finalement, nous parlerons des changements qui adviendront aux clientèles, plus sensibilisées que jamais à l'archivistique.

1. Bouleversement du cycle de vie des documents

Théorie des trois âges (c) Isabelle Dion, ARV 1051, EBSI 2007.
Le concept du cycle de vie des documents est accepté (et remis en question) depuis 1948 (Marcel Caya, La théorie des trois âges. En avons-nous toujours besoin ? 2004). Il illustre l'utilité d'un document selon leur valeur depuis leur création jusqu'à leur élimination ou conservation définitive (remarquez seulement 5 à 10 % des documents créés sont conservés à la phase inactive). Avec le numérique, les frontières entre les âges (actifs, semi-actifs et inactifs) sont très floues. Imaginez avec un blogue, un wiki ou un microblogue institutionnel ! Les dates de "péremption" de ces outils 2.0 sont élastiques et nous pouvons imaginer que chaque version d'un wiki est à conserver de façon historique, sans passer par une phase semi-active ! De même, les hyperliens rendent très difficiles la conservation d'un microbillet (twitt) : celui-ci est-il digne d'être conservé si nous n'avons pas son contexte, si le créateur est identifié par un lien hypertexte et qu'il ne contient qu'un lien raccourci (illisible pour l'humain) vers avec autre site avec l'expression "lol" ? Devons-nous conserver les "re-twitt" et les commentaires des blogues ? Et quand "fermons"-nous un billet aux commentaires parce qu'il est conservé aux historiques ? Ces interrogations sont actuelles, nous sommes encore à nous positionner, à apprivoiser les changements numériques (et nous le serons encore dans une année) et le 2.0 commence tout doucement à faire partie des interrogations archivistiques. La différence, en décembre 2011, sera que plus d'utilisateurs (tant individus que des unités, des services, des institutions) seront visibles sur le Web 2.0.

Gestion intégrée des documents (c) Daniel Ducharme, ARV1050, EBSI 2010.
Dans 5 ans, je crois que nous aurons surpassé ses questionnements concernant le quoi/comment/quand conserver : tout d'abord, les systèmes de gestion intégrée des documents (voir schéma) seront la norme dans les institutions et non plus des exceptions. La théorie des trois âges ne sera plus qu'un souvenir, au profit du records management, pronant la gestion du flux documentaire.

Dans 20 ans, nous pourrons peut-être enfin accéder au bureau sans papier, promis depuis des lustres ! Avec les téléphones intelligents et les lecteurs tels que le iPad dont l'utilisation se généralise, l'impression des procès-verbaux pour une réunion de comité ne sera plus nécessaire (ex : tout le mode suit sur son iPad et annote des ordre-du-jour en format PDF. Il faudra aussi développer le cryptage et les signatures électroniques pour en assurer la validité, etc...

2. Diffusion

Réseau de diffusion des archives du Québec
Dans les neuf fonctions de l'archivistique (analyse de besoins, création, évaluation, accroissement, classification, description, indexation, diffusion, préservation - Carole Couture, Les fonctions de l'archivistique contemporaine, PUQ,1999) l'une des plus compatible avec le Web 2.0 est sans conteste la diffusion. Le nouveau support que représente l’ordinateur et le format numérique dans la transmission du savoir fait éclater les limites de l’écrit et de l’image inerte : nous revenons à l’oral et à l’image active (film vidéo, émission télévisée, documentaire), ce qui permet une diffusion plus totale des archives. Jusqu'ici, nous pouvons affirmer que les initiatives web2.0 des services d'archives sont plutôt balbutiantes. Si la plate-forme numérique/virtuelle est bien utilisée (ex: expositions virtuelles, bases de données de fonds d'archives, sites web et blogues archivistiques), les outils 2.0 ne me semblent pas toujours mis à contribution. Si c'est le cas, ce sont les "gros joueurs" : BAnQ présente sur Facebook, les Archives de la ville de Montréal aussi sur Twitter et YouTube. Ainsi, le monde francophone des archives n'a vu que peu d'initiatives intégrer la folksonomie (McCord et  ici, de rares expérimentations). Pour la prochaine année, nous projetons que de plus petits centres d'archives auront des initiatives sur le web, pour éventuellement s'impliquer dans le réseaux sociaux.

Pavillon Macdonald de génie (quand il vient d'ouvrir) et aile Workman -- Archives de McGill
Dans 5 ans... Facebook ne sera-t-il pas mort ? D'autres générations de réseaux sociaux auront pris la place. L'important réside dans ce que les centres d'archives auront pris l'habitude d'être visible sur ces réseaux. De plus, avec la réalité augmentée(ou ici, l'excellente introduction de Martin Lessard en 5 billets), nous croyons que cette visibilité sera décuplée. Imaginez que vous vous promenez dans le centre-ville de Montréal et que vous voyez le vieux building ingénierie de l'université McGill. Avec votre compagnon, vous discutez d'architecture, de date de contruction, du contexte dans lequel il a été bâti. Pour appuyer votre discussion, vous pointez votre téléphone intelligent vers l'édifice. L'application "archives" permet à votre tékléphone de reconnaître le building (reconnaissance architecturale + localisation) et de vous emmener vers ce site et de vous afficher une image du pavillon peut après son ouverture en 1893, puis de vous proposer une visite du Musée McCord (avec heures d'ouvertures, tarifs etc...) qui préserve les archives de McGill ainsi que des images d'objets, de moments et de documents liés à ce bâtiment. Fantastique, non ? Imaginez la révolution touristique !!!

Dans vingt ans... nous pourrions imaginer des salles de musées et de centres d'archives accueillant des visiteurs à l'aide d'hologrammes en 3D d'environnements passés (ex: visiter Notre-Dame de Paris en 1789, sans une, mais cela ne fait pas trop réseau social, mais plutôt les holosuites de StarTrek. Nous pouvons à tout de moins espérer consulter les fonds d'archives historiques en ligne, dans des formats "hyperprotégés" permettant une diffusion plus grande tout en ne pervertissant pas le document original et en soulignant la source (fonds, centre d'archives).

3. Usagers : tous de petits archivistes


Plus que jamais, avec le numérique et le Web 2.0, des réflexes d'archivistes sont adoptés par tous : qui n'a pas un cousin qui nomme et organise ses photographies numériques ? Un ami qui collectionne des liens intéressants sur delicious et cie ? Un oncle qui fait migrer, pour les conserver, ses vieux VHS et ses diapositives de voyage vers son ordinateur ou un disque dur externe ? Il est encourageant de voir mes concitoyens aussi concernés par des actions archivistiques de classification, d'indexation et de préservation ! Les chroniques (1 et 2) de M. Dumais, sur Cyberpresse témoignent de l'engouement des lecteurs pour des gadgets et de nouveaux comportements pour enrayer le(ur) chaos numérique (tant que nous ne mentionnons pas le terme "archives"!). Si ces tendances existent chez les particuliers pour leurs archives personnelles, nous espérons que la prochaine année, les employés/travailleurs profitent aussi de cet ouverture et qu'ils soient enthousiastes à accueillir des solutions SIGD. Car malheureusement, la collaboration au travail ne s'effectue majoritairement pas avec des fils RSS commentés ou des wikis, mais de lourds procéduriers.

D'ici 5 ans, nous croyons que ces solutions SIGD seront implantées partout et que nous pourrons intégrer la conservations des publications sur les réseaux sociaux. De plus, les employés en place auront changé (nombreux départs à la retraite de la génération "babyboomer") pour laisser la place aux usagers de la génération C (collabore, communique et crée) ou les natifs numériques. Les usagers 2.0 sont dépendants de l’information et de son actualisation et ils sont indifférents aux formats contenant les informations voulues : cela facilitera la création de services proactifs qui éduquent usagers internes et externes (chercheurs), améliorera les communications internes et externes et rendra plus aisée l’implémentation et l'utilisation des éléments 2.0. Classer, indexer, rechercher, préserver l'information ne sera plus l'apanage des archivistes, mais le souci de tous.

Dans 20 ans, les ordinateurs auront été apprivoisés : nous aurons des applications et logiciels simples, maîtrisés par les usagers car tous seront des natifs numériques. L’humain aura appris cet outil complexe, l’ordinateur, comme il a appris à asservir la parole à sa pensée puis l’écriture à sa parole. Le cerveau humain changera au contact de l’ordinateur dans son quotidien et dans ses réseaux sociaux. Mais sera-t-il plus intelligent et plus inventif ? Ou plus idiot, comme l’avance le spécialiste américain Nicholas Carr dans «Is Google Making Us Stupid ?» (2008). C'est une révolution culturelle et cognitive à laquelle nous assisterons. Le rapport aux archives sera tout à fait différent : de précieux papiers et photographies enfouis dans les catacombes, nous irons vers des documents de tout genre (ex: documents audio-visuels, documents avec liens hypertextuels) facilement accessibles. Les archives seront beaucoup plus présentes : lorsque "actives", les archives administratives seront organisées, partagées et étiquetées par les usagers. Lorsque historiques, les archives-"témoins" seront disponibles et diffusées, voir vivantes pour les chercheurs, professionnels ou non. Et tous seront les archivistes des mémoires de demain !

Conclusion

Avec l'informatique, l'archivistique s'est déjà transformée à plusieurs niveaux. Le web2.0 devrait rendre les documents administratifs plus faciles à conserver/consulter et les témoins du passé encore plus visibles/accessibles. J'ai énuméré ici quelques fantasmes archivistiques : tous les créateurs de documents seront des archivistes en puissance, la diffusion par la réalité augmentée des fonds d'archives pour les contextualiser, le bureau sans papier. Cependant, je conçoit aisément que mes prédictions sont l'œuvre d'un esprit en manque d'imagination : l'humain allié à son nouvel outil préféré, l'ordinateur, va révolutionner nos schèmes de pensées et nos rapports à al culture. Peut-être qu'en fait (scénarios catastrophes) les archives perdront totalement de leur importance, que les hommes seront tournés vers le futur en oubliant le passé (lointain autant que récent) ou que les archivistes se transformeront en analystes informatiques, gérant des bases de données et des data déconnectés des lettres manuscrites ou des daguerréotypes !

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